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Une narratrice tente de se souvenir de son parcours dans une maison abandonnée. Nous suivons la levée des souvenirs dans un espèce d’état brumeux et flou. C’est la recherche d’une reconstitution d’un moment et d’un lieu inaccessible.
Elle ferme les yeux. Elle essaye de se souvenir. Lors de sa visite, elle a pris des photos. Elle doit s’accrocher à elles. Elle doit se souvenir. Elle doit fermer les yeux pour se projeter là-bas.
Des premières bribes sonores lui viennent à l’oreille. Il s’agit de voitures en mouvement. Elles roulent vite, très vite. Leurs moteurs résonnent au loins dans la vallée. L’espace sensoriel est oppressant. Des mouvements, des bruits, des couleurs. Un puit d’informations dans lequel elle tombe. Elle est paralysée, devant la route, immobile, essayant de contrôler le flux de données. Dans un élan, elle traverse la route en courant. Il est difficile de se concentrer. Elle prend une pause, respire, et reprend une contenance. Elle se trouve face à une maison en ruine. Une chaise blanche lui fait face. Elles se regardent mutuellement (sentiment de présence).
Plus loins, elle décèle un escalier descendant sur un jardin. Elle décide de descendre. Il y a beaucoup de débris de pierres. Elle se concentre sur son équilibre pour ne pas tomber. Elle est en bas, ses chaussures en contact de l’herbe humide. Une odeur de terre et de moisissure lui monte au nez. Il y a un battement d’eau proche. Elle s’approche du muret en pierre, le son s’intensifie. Plus loin, une chaise noire face à ce même muret. Elle imagine une personne assise. Elle écoute l’eau. Elle attend. Elle fut là quelque part. Elle la sent. Aujourd’hui, elle est absente. Il ne reste que le sentiment flottant de sa présence passée.
Derrière cette scène, l’entrée d’une maison. Les portes sont ouvertes. Un patin trône entre les deux portes. Elle imagine un enfant le faisant rouler tel une petite voiture. Elle rentre. La maison est sombre, elle prend le temps de s’habituer au changement de luminosité. L’espace est silencieux. Elle entend seulement les bruits de la route et de l’eau en arrière plan. Dans la maison, pas de bruit, pas de mouvement. Seulement le silence. Le temps est comme arrêté.
Elle commence son exploration des lieux. à gauche, près de l’entrée, une pièce avec un matelas posé sur le sol. Sur la porte il est écrit « fermez la porte ». Au fond de cette même pièce une petite salle peinte en vert avec un morceau de carrelage attelé au mur. à droite, une grande pièce plongée dans le noir avec du matériel de chaufferie. Elle sort et s’engage dans un couloir. Il y a cinq entrées possibles. à gauche, une salle sombre avec une fenêtre envahie par des végétaux. La lumière s’infiltre entre les plantes.
à coté, une pièce dans le noir. Avec une lampe torche, elle constate que cette pièce mène sur une autre de même dimension.
Les souvenirs sont plus fournis pour les pièces situées en face. Elles ressemblent à des prisons. Il y en a trois. Elle ne se souvient plus de l’ordre précis mais dans l’idée : une d’entre elles a un matelas sur le sol avec un support métallique posé dessus, à coté un t-shirt beige jeté sur le sol. Une autre, un matelas au sol avec les traces de lits superposés. Et enfin, la dernière est complètement vide avec écrit sur le mur en rouge « the future » avec un point d’interrogation. Elle se demande qui a écrit cela : quel fantôme hante ces mots, où est-il aujourd’hui ? Elle est à une frontière entre la France et l’Italie. Une frontière qui est un lieu de passage. Elle touche le mur avec ses doigts. Dans ces pièces qui furent surement des prisons des personnes ont dormi sur des matelas posés par terre. à un autre moment, des personnes ont dormi ici sur des lits superposés.
Les traces fantomatiques se croisent et se mêlent ensembles. Elle se raconte des histoires avec les preuves des habitations passées. Où se situe-t-elle ? Sa respiration marque une présence actuelle. Elle est ici, maintenant.
Elle retourne dans l’entrée et monte un escalier. Elle est au premier étage. Les souvenirs du couloir de droite sont flous. Il est encombré et il n’y a qu’une pièce d’accessible. Dans cet espace un moteur cramé au milieu. L’impression de voir une scène de crime avec des traces récentes. Une odeur de poudre couvre toute la pièce. Il y a quelque chose de très oppressant ici, elle est incapable de rester. Les projections mentales sont effroyables (sentiment puissant de malaise). Elle part.
Elle retourne à coté de l’escalier pour se diriger vers le couloir de gauche. Un casier bloque partiellement le chemin. Elle se faufile derrière et entre dans une première pièce. Elle est dans le noir complet. Avec une lampe torche, elle peut déceler un bureau avec des écrans à tube cathodique pour ordinateur. Les volets sont fermés. Elle trouve des documents éparpillés sur le sol. Il y a un nom écrit en gros sur chacun d’entre eux avec des informations quelconques. Il s’agit de cartes de contrôles des douanes. L’une d’elle est tamponnée de la date « 9 Fev 1948 ». Sur un autre document plus grand, il est écrit « Dichiarazione impegnativa per il percorso nel territorio francese » qui signifie « Déclaration Soumission d’emprunt du territoire français ». Il est indiqué que ce document appartient à l’administration des douanes italiennes, et un tampon de 1992 est apposé dessus. Elle est dans une douane abandonnée. Ces informations donnent une nouvelle dimension aux murs. Elle imagine les personnes porteuses des noms qu’elle a lu sur les documents. Michel Curti est un élève officier de réserve né en 1938. Noël Cotta a passé la frontière en 1948. Ils traversent le couloir ensemble (sentiment de présence). Ils sont là, sans être là. Elle les imagine.
Les deux pièces à côté sont remplis d’objets empilés. Toutes les temporalités se mélangent. Des disques vinyles, un album Panini des Simpson, une machine à coudre des années 30 ou encore de la vaisselle. Au fond du couloir une rambarde donnant vers un étage inférieur. Elle se penche pour regarder. Il y a une chaise entouré d’un halo de lumière (sentiment de présence). La chaise est habitée par son imaginaire.
Elle descend. Il y a un tas de documents entassés. Elle y trouve notamment un exemplaire du journal italien « Potere Operaio Del lunedi » du 6 mars 1972. Sous l’escalier, une minuscule pièce faisant office de sanitaire. Elle emprunte une porte menant sur une autre pièce. Elle y trouve un matelas posé sur le sol, un lavabo niché dans un coin, et une grande table au milieu de l’espace. Elle décide de remonter au premier étage afin de prendre un escalier permettant d’accéder au deuxième étage. Elle se trouve dans d’anciens appartements. Elle rentre dans la première pièce à sa droite. Il s’agit d’une cuisine. Un produit vaisselle jaune est posé sur l’évier (sentiment de présence). La peinture des murs tombent en lambeaux. Les volets vert sont à moitiés fermés et le cumulus blanc est tacheté de rouille. Elle sort et se rend au bout du couloir. à cette extrémité, elle y trouve un sanitaire. Le papier peint fleuri tombe en morceaux. à droite, séparée par un mur, une salle de bain avec une baignoire sabot.
Ce sont les derniers souvenirs qui subsistent de la maison. Elle sait qu’il lui manque des pièces. Elle ne les retrouvera pas. Elle pense notamment à cette fenêtre menant vers un lieu dont elle ne se souvient pas. Un espace où elle a la possibilité d’écrire les histoires qu’elle souhaite.
Ces souvenirs sont une fiction qu’elle se raconte à elle-même, remodelés continuellement par son corps, ils signifient la manière dont celui-ci porte des attentions sur le monde.
Un an plus tard, le cours d’eau qui se trouvait derrière le muret est monté et a submergé la route et la maison. Cette nuit là, l’électricité s’est coupée, des maisons se sont arrachées du sol et des cimetières se sont éventrés. Pleins de traces fantomatiques confondues dans la substance aqueuse et se dirigeant vers la mer. Que reste-il ? Où sont-ils ? Échoués dans la mer, ils forment désormais un ensemble dilué dans de l’eau.
Elle cherche une fin à cette histoire. Que reste-il des murs ? Que reste-il d’elle-même ? Elle emprunte un chemin pour tenter de voir la maison de loins. Celle-ci est désormais inaccessible à cause des dégâts. Elle est penchée vers le vide tenant dans ses doigts un grillage rouillé. Une montagne cache la maison. Elle voit un morceau du cours d’eau. Il y a des strates signifiant l’ampleur de l’inondation. La maison demeure impossible à voir de loin. Que décide-t-elle d’imaginer derrière la montagne ?